Embaucher une personne en fin de peine : elles ont franchi le pas...

Vous êtes intéressé(e) par l'embauche d'une personne en fin de peine, mais vous posez quelques questions?
Des entreprises ont franchi le pas et vous conseillent sur les "do's" et "don'ts"
Témoignages d'entreprise: emploi et détention. cc: jmexclusives (pixabay)

Témoignages d'entreprises

Pourquoi embaucher une personnes en fin de peine?

Ce sont des personnes qui ont besoin de se réinsérer, et le travail permet de passer la première étape de l'insertion. C'est assez central. Donc en embauchant une personne en fin de peine, oui vous êtes une entreprise citoyenne, oui vous avez un impact sur le territoire, mais vous luttez aussi contre la récidive et participez à la bonne réintégration des personnes sortant de détention, et ça, c'est très important.

 

Comment rencontrer une personne en fin de peine?

Nous on passe principalement par les forums de l'emploi, et je pense que c'est très important, notamment pour les premières expériences. Ça permet de rencontrer les personnes, de se familiariser avec le monde carcérale et de le dédramatiser. Et puis, si on cherche un profil particulier, notamment avec un peu plus de formation, c'est aussi plus simple. Après, avec le Covid, c'est vrai qu'il n'y a plus de forum, donc on passe directement par une ETTI, c'est plus simple, mais on pourrait aussi voir avec les SPIP.

 

Je souhaite passer par une ETTI, comment cela se passe-t-il?

Il faut savoir que le public en situation d'incarcération ou en fin de peine ou en semi-liberté fait partie des publics éligibles à l'insertion par l'activité économique (IAE). L'ETTI est une structure de l'IAE, donc le public incarcéré est un de nos publics.
Comme n'importe quelle entreprise, pour l'ETTI, il y aura un prescripteur, donc soit le SPIP soit Pôle Emploi (CPEJ), qui vont nous orienter des personnes grâce à la plateforme pour l'inclusion.

Concernant le lien avec l'entreprise, généralement ce n'est pas elle qui vient à nous pour nous dire "on veut travailler avec le public prison", c'est plutôt l'inverse. Mais on aimerait beaucoup que les entreprises viennent à nous, il faut qu'elles viennent nous voir!

 

Pourquoi passer par une ETTI?

Lorsqu'elle sort, la personne issue du "public prison" va généralement avoir besoin d'aide et d'assistance pour remettre de l'ordre dans sa vie et pour stabiliser sa situation, et ce n'est pas à l'entreprise de faire ça. Par contre, c'est le rôle de l'ETTI. On ne va pas faire les choses à la place de la personne, mais on va pouvoir l'aiguiller, la renseigner, l'accompagner dans ses démarches. Et ça a quelque chose de sécurisant pour l'entreprise.

Sur l'aspect professionnel, on va aussi faire un suivi, tout ce qui est formation, intégration, difficultés rencontrées dans l'entreprise. Nous on est là pour border, réagir, prendre contact avec le SPIP si besoin.

 

Quel rôle joue l'ETTI entre le SPIP et l'entreprise?

Comme nous sommes une entreprise d'intérim, c'est nous qui faisons le contrat (d'une durée de 2 ans). L'entreprise qui accueille, accueille des missions d'intérim. Si l'entreprise d'accueil a une question concernant la situation de son salarié, c'est nous qui sommes l'interlocuteur. Soit on a déjà la réponse, soit on va la demander au SPIP, puis on va faire le relai avec l'entreprise.

Par contre, on ne va pas forcément dire à l'entreprise d'accueil que son salarié est un ancien détenu, mais un salarié issu de l'insertion. On ne va donner que les informations importantes s'il y en a (horaires, interdictions de territoire, etc.) et que le salarié est d'accord pour qu'on fournisse l'information.

 

Que conseilleriez-vous à une entreprise qui souhaite embaucher une personne en fin de peine pour la première fois?

Je pense que c'est bien de passer par une ETTI, aussi bien pour l'entreprise que pour le salarié.

C'est sécurisant pour le salarié, parce qu'il sait qu'il peut se reposer sur nous, qu'on est là.

C'est aussi sécurisant pour l'entreprise, parce que cela reste de l'intérim. On choisit les durées, l'entreprise ne s'engage pas et peut poursuivre l'expérience si tout se passe bien.

Et puis dans la recherche d'emploi, le "public prison" n'a pas forcément un cv actualisé. Expliquer à l'entreprise pourquoi il n'y a rien depuis 2008 alors qu'on est en 2021, ça peut être délicat. Lorsque l'entreprise passe par une ETTI, elle sait que le public est un public d'insertion et qu'il va y avoir des trous dans le CV, mais ça ne veut pas forcément dire que la personne était en détention, elle peut très bien être en chômage de longue durée. Donc il n'y aura pas forcément la question de "pourquoi Monsieur untel n'a pas travailler depuis 2008".

Concernant le "public prison", l'ETTI va retravailler le CV, notamment avec les formations.

 

Un bracelet électronique, ça sonne? Comment avoir des informations sur l'aménagement de peine?

Je me rappelle, quand on a accueilli Mme. Y, on nous a prévenu qu’elle allait avoir un bracelet électronique. Mais nous, on ne savait pas vraiment ce que c’était, comment ça fonctionnait. Et son futur manager, que j’avais mis au courant de la situation, m’a demandé : « Mais on fait quoi si le bracelet se met à sonner au travail ?! »

On a appelé le SPIP, et en fait le bracelet n’allait pas sonner ! Ça ne marche pas du tout comme ça !

Enfin tout ça pour dire, qu’il ne faut pas rester avec ses questions ! On nous a tout expliqué, le fonctionnement, les horaires de travail, quoi faire si les horaires venaient à être modifiées etc.

Et au final, on n’a jamais rencontré de problème avec le bracelet !

 

Comment gérer l'aménagement de peine?

C'est vrai qu'il faut être vigilant à cela. Nous on a eu principalement des bracelets, donc c'est vrai qu'on a prévu des horaires assez larges pour que la personne n'ait pas de problème, parce qu'il faut qu'elle ait le temps de rentrer chez elle mais aussi de gérer les imprévus et les aléas, que ce soit au travail ou sur le trajet pour rentrer chez elle.

Après, on a aussi une personne qui avait des restrictions, elle était interdite de territoire sur certaines communes. Donc comme elle avait un poste qui demandait de la mobilité, c'est vrai qu'on a dû faire très attention à son emploi du temps, aux endroits où on lui demandait de se rendre pour ne pas la mettre en difficulté.

 

Est-ce que le salarié est isolé socialement, est-ce qu'il a besoin d'aide? Qui est mon interlocuteur?

Il ne faut pas hésiter à demander des informations au centre pénitentiaire sur la personne que vous embauchez. Est-ce qu’elle a besoin d’un suivi psychologique ? Est-ce qu’elle est isolée socialement ou est-ce que la famille est présente ? Est-ce qu’elle aura besoin d’aide pour stabiliser sa situation personnelle (logement, aides sociales etc.) ? Cela l’aidera elle bien sûr, mais aussi l’entreprise.

 

C'est une situation très particulière, comment savoir de quoi le salarié à besoin? Est-ce que c'est à l'entreprise d'aider et d'accompagner le salarié?

C'est vraiment un public qui a besoin d'être accompagné et qui ne nous dit pas tout sur leur situation, sur leurs problèmes. C'est un public particulier et quand les personnes sortent, l'entreprise ne peut pas forcément tout gérer, donc nous sommes passé par une ETTI, qui a justement pu gérer cet aspect personnel, les questions de mobilité, de logement, etc., et puis aussi toute la partie administrative. C'est l'ETTI qui était en lien avec le SPIP.

 

Je vais accueillir une personne en fin de peine, je communique comment dans mon entreprise?

C'est encore un sujet tabou, il est important de ne pas les identifier comme "sortant de détention". Nous avons fait le choix de prévenir qu'on accueillait des personnes en intérim, dans le cadre de l'insertion, et comme c'est un milieu assez large, les collaborateurs ne savent pas que la personne est en lien avec le milieu carcéral.

 

Je suis une entreprise reconnue d'utilité publique, existe-t-il un programme spécifique dans mon cas?

Nous sommes reconnus comme étant qu'entreprise d'utilité publique et nous avons l'habilitation pour accueillir des TIG (Travaux d'Intérêt Général), donc nous sommes répertoriés sur ce sujet et accueillons des tigistes. Il y a quelques mois, une juriste nous a contacté car elle avait trouvé notre nom sur la liste des entreprises habilitées aux TIG, et c'est comme cela que nous avons aussi appris qu'on pouvait accueillir des Personnes en Travail Non-Rémunéré (TNR-CC). Il s'agit de durées courtes, sans contrat. On a eu le cas d'une personne qui n'avait besoin de faire que 35h, donc nous avons aménagé ça en fonction de son emploi du temps, car comme elle n'avait pas de mesure judiciaire, elle était toujours en emploi à temps plein.

 

Quel impact sur la personne en fin de peine?

Nous n'avons que des retours positifs. Après les CDD ou les contrats d'intérim, on a pu proposer des CDI, mais on est surtout un lieu de transition. Le travail leur permet de se stabiliser, de se remettre sur pied, de se reposer, de gagner de l'argent, de pouvoir se projeter. Donc c'est une période durant laquelle, ils se reconstruisent et construisent leur futur, leur projet professionnel. Ça aide aussi certains à ne pas replonger.

Conseils d'entreprises

Accompagner l'entreprise:

1) Pour une première expérience

  • Privilégier de passer par un "Forum de l'emploi"
  • Être accompagné est indispensable, car cela peut-être lourd pour l'entreprise: SPIP, ETTI, assistante d'aide sociale sur site

2) Rencontrer le salarié

  • S'assurer auprès du SPIP si le candidat repéré (lorsque cela se passe durant un "Forum de l'emploi") est bien en fin de peine et/ou est éligible à un aménagement de peine
  • Prévoir des délais assez large (environ 1 mois) pour rencontrer le salarié

3) Prévoir les questions administratives:

  • Fournir au format papier : attestation de travail, planning ou tout autre document. Ceux-ci serviront de justificatifs à votre salarié.
  • Un changement dans l'emploi du temps ou le lieu de travail ? Anticiper pour fournir les justificatifs en temps et en heure au salarié.

4) Préparer l'arrivée du salarié dans l'équipe:

  • Prévenir les managers directs sur les spécificités de la situation (horaires, présence d'un bracelet électronique, etc.)
  • S'assurer de l'implication de l’équipe et/ ou du service qui va accueillir le salarié pour ne pas que cela soit un sujet tabou
  • Éviter de mettre trop de personnes dans la confidence (manager, service RH, service paie : cela suffit)

5) Ne pas rester seul(e) avec ses questions:

  • Ne pas rester seul avec ses questions, ne pas hésiter à se renseigner et à échanger avec le Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation (SPIP).

6) Quelle communication?

  • Réfléchir à la politique de communication sur le recrutement en détention? Cette question doit être réfléchie en interne.

 

Accompagner le salarié:

1) Préparer son arrivée:

  • Comme pour tout salarié: présenter l'entreprise, le règlement intérieur, faire un suivi régulier sur la période d'essai, etc.
  • Parler avec le salarié de ce qu'il va dire à ses futurs collaborateurs? Quelle histoire de vie à raconter aux futurs collègues?
  • La personne a-t-elle besoin ou penser à faire une demande de nettoyage Google?
  • La personne a-t-elle besoin de changer de nom? Sait-elle que cela est possible?
  • Ça ne sert à rien d'en faire trop non plus

2) Accompagner son intégration:

  • Accompagner le salarié et assurez-vous de sa bonne intégration
  • Prévoir la mise en place d'un processus d'intégration (trouver un parrain par exemple): mais attention pas plus et pas moins que pour n'importe quel autre collaborateur
  • Penser à un système de tutorat pour s'assurer que l'intégration du collaborateur se passe bien, mais simplement prévenir le tuteur que c'est un salarié issu du milieu de l'insertion, pas du milieu carcéral
  • Mettre en place un suivi de proximité par le manager et le ou la RH (intégration, difficultés potentielles, lien avec le centre pénitentiaire, etc.)
  • Aider le salarié s'il a perdu les codes et lui expliquer l'importance de ceux-ci, notamment concernant les horaires ou les absences, car ils ont pu perdre l'habitude de certaines pratiques attendues en entreprise
  • Si c'est un gros groupe, mettre le salarié en lien avec l'assistant(e) de service social, si c'est une entreprise plus petite, ça peut être intéressant de voir ce que peut faire le CHSCT

3) Laisser du temps à votre salarié pour les démarches administratives

  • Prévoir 1/2 journée libre par semaine (à son arrivée) pour les démarches administratives (rendez-vous à la CAF, ouverture d'une ligne internet, recherche d'un logement, etc.)
  • Vous en avez la capacité? Pourquoi ne pas aider votre salarié dans ses démarches (s'il est d'accord) ?

Vous avez des conseils à nous fournir? Un témoignage?

Vous souhaitez nous faire part de votre expérience et aider des nouvelles entreprises à franchir le pas? N'hésitez pas à nous contacter!

(Attention: pour des raisons de confidentialité, vos conseils et témoignages seront anonymes)

 

Contact : chaire-vivreensembleatuniv-rennes1 [dot] fr